tant chante le rossignol
Comte Thibaud IV de Champagne
le Chansonnier
Li rossignoz chant tant
Qu'il chiert morz de l'arbre jus.
Si bele mort ne vit nuns
Tant douce ne si plaisant,
Autresi muir en chantant a hauz criz
Que je ne puis de ma dame estre oïz
N'ele de moi pitié avoir ne daigne.
Onques fierté n'ot si grant
Vers Pompée Julius
Que ma dame n'en ait plus
Vers moi, qui sui desirrant,
Que devant li est touz mes esperiz
Et nuit et jour crie : Merci ! Merci !
Baisant ses piez, que de moi li soveingne.
Je ne cuit pas que serpenz
N'autre beste poingne plus
Que fait Amors au desus.
Trop par sunt li cop pesant ;
Plus trait sovent que Turs ne Arabiz,
N'onques encor Salemons ne Daviz
Ne se tindrent ne c'uns fox d'Alemaigne.
N'est mervoille se je sui esbahiz ;
Que li conforz me vient mout a enviz,
Que je dout mout que toz biens me soffraigne.
Dame, de vos mes cuers ne est partiz,
Si vos en rent les grez et les merciz.
Que je atent qu'encor de vos me vaigne.
Mains durs essauz m'avra Amours bastiz ! Chançon, va tost et non pas a enviz,
Et salue nostre gent de Champaigne !
Tant chante le rossignol
Qu'il tombe du haut de l'arbre?
Nul ne vit si belle mort,
Si douce ni si agréable.
De même je meurs en chantant, à grands cris,
Puisque je ne puis être entendu de ma dame
Et qu'elle ne daigne pas avoir pitié de moi.
Chacun dit qu'il aime
Que jamais personne n'aima si fort ;
Ce qui cause la perte des amants
Sont les mensonges éhontés des truands.
Ma dame doit connaître à leurs propos trompeurs
Que leur coeur insincère a renoncé à tout idéal
Et il n'est pas juste qu'on ait pitié d'eux.
Jamais Julius Pompée
Ne se montra aussi cruel
Que ma dame envers moi
Qui meurs de désir.
Ma pensée est tous les jours devant elle
Et nuit et jour je lui crie merci,
En baisant ses pieds, pour qu'elle se souvienne de moi.
J'en prendrai Dieu à témoin
Et tous les saints du ciel
Si j'aime plus que personne,
J'ai droit à être mieux traité
Et à être désormais écouté de vous,
Mais vous me privez de vos bienveillants entretiens
Et me chassez comme une bête sauvage.
Je ne crois pas qu'un serpent
Ni une autre bête fasse plus de mal
Que n'en fait Amour en triomphant,
Si lourds sont ses coups.
Il lance ses flèches plus souvent que Turcs ou Arabes ;
Salomon pas plus que David
N'y résistèrent, ou qu'un fou d'Allemagne.
Il n'est pas étonnant que je sois désemparé,
Un réconfort me parvient à si grand peine
Que je crains de manquer de tous biens.
Dame, je ne puis être séparé de vous ;
Je vous en conjure, j'attends de vous
Que me viennent bienveillances et faveurs.
Amour m'aura livré maints durs assauts.
Chanson, va vite et le coeur léger
Et salue mes gens de Champagne.
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